Le jeu de la séduction et de la mort – 5

Chapitre 4

Le plus difficile, quand on était sélectionné pour le jeu, était de conserver l’information secrète, car on pouvait être submergé en peu de temps par un nombre impressionnant de nouveaux amis. Maylis y était parvenue malgré le déluge de sentiments contradictoires qui l’avait assaillie. Elle avait la perspective de mener une existence dorée sans être certaine de sortir vivante de cette épreuve. Le sort des perdants lui était connu, l’émission virant de la pornographie au gore.

Sexe et sang.

Maylis aurait pu informer Kilian de sa sélection puis partir rapidement pour le taxiport, mais elle n’avait aucune confiance en lui pour conserver les rares biens qu’elle possédait, essentiellement des bijoux hérités de sa mère. Ils ne comportaient ni or, ni argent, ni pierre précieuse, mais avaient une forte valeur sentimentale. Maylis avait décidé de les confier à Clotilde. Ne tenant plus de joie, celle-ci avait révélé le secret à son amant Tom, qui était un client régulier. Rejeton d’une famille « moyenne », il avait fait des études et trouvé un travail de technicien de maintenance dans une usine – non sans un petit coup de piston.

Il avait immédiatement invité Maylis à passer chez lui et, de là, à la conduire au taxiport. Dès que la porte de son appartement s’ouvrit, il se jeta sur elle et l’étreignit comme si elle avait été une vieille amie.

« Accueillir une candidate et certainement future gagnante du jeu ! s’exclama-t-il. Je n’aurais jamais cru cela possible ! »

Comme elle trouva que les mains de Tom descendaient un peu trop bas, Maylis posa ses doigts sur sa poitrine pour le repousser.

« Entre ! dit-il en faisant un pas en arrière. Mon appartement est le tien. »

La jeune fille entra dans un salon où elle trouva Clotilde entièrement nue et souriante. Les deux amies s’étreignirent en échangeant quelques larmes.

« Je le savais… Je le savais… bredouilla Clotilde. Tu es faite pour ce jeu. »

Elles se regardèrent à travers leurs prunelles humides.

« Non, je ne suis pas faite pour ça, répondit Maylis, mais j’ai pensé que je devais y aller pour toi et mes autres amies.

— Si, tu es parfaite ! répliqua Tom. Tu vas faire merveille ! Tu seras gagnante et tu jouiras de ta fortune. Je te ferai des dons, je te le promets. »

Il avait beau avoir de l’argent, son appartement n’était pas climatisé. C’était interdit pour tout le monde, puisque ces appareils rejetaient inévitablement dehors un air chaud. Même les très riches n’en possédaient pas, mais ils avaient des piscines où se rafraîchir.

Par conséquent, Tom était en caleçon et exhibait un torse assez bien musclé et ombragé par quelques poils. Il avait fixé un grand ventilateur au plafond qui, avec la fenêtre ouverte, créait un courant d’air permanent.

« Tu veux une boisson fraîche ? proposa-t-il. De la bière ou la limonade ?

— De la limonade.

— Clotilde, tu nous sers ? »

Obéissante, la jeune fille s’écarta de Maylis et partit dans la cuisine. Maylis regarda le salon, qui comportait un canapé d’angle et une table basse. Le lieu était plutôt exigu et rappelait à Tom qu’il ne roulait pas sur l’or.

« Assieds-toi, mets-toi à l’aise, dit-il. Ne te gêne pas pour enlever ta robe. Il fait terriblement chaud ici. »

Maylis s’assit sur le canapé tandis que Kilian se glissait comme une anguille dans la pièce et s’asseyait sur un tabouret. Elle portait cette même robe qui avait été trempée par l’orage. C’était un vêtement sage qui s’arrêtait en haut des cuisses et laissait les bras et les épaules nus, sans avoir de décolleté.

Tom regarda avec désapprobation les genoux serrés de Maylis.

« Tu sais que pour avoir du succès, il faut être exhibitionniste ? dit-il.

— Je sais.

— Alors pourquoi ne pas commencer maintenant ? Je te regarderai quand tu seras là-bas. Tu seras nue et tu te feras baiser à longueur de journée, avec des caméras tout autour de toi. Je verrai tout cela et je te ferai des dons pour t’encourager. Tu sais comment ça marche, hein ?

— Oui.

— Tu aimes être sodomisée ?

— J’adore.

— Il y a intérêt, parce que tu vas te retrouver avec d’énormes bites dans ton cul. Et moi, je te donnerai de l’argent pour te voir ou parce que je t’ai appréciée. C’est grâce à des gens comme moi que tu deviendras riche, tu sais ? »

Maylis hocha la tête.

Tom devenait nerveux et son caleçon trahissait ses pensées : il était en pleine érection.

« Alors on commence maintenant ?

— Tu me fais vraiment une promesse de don ?

— Oui oui ! Quelques dizaines d’euros ou plus si je t’apprécie. Clotilde le vérifiera. Ce sera beaucoup plus qu’une passe avec une putain, tu sais ?

— Oui, je sais.

— Alors déshabille-toi ! »

Tom savait sûrement qu’il n’avait que ceci à gagner : Maylis ne ferait pas de lui un bénéficiaire parce qu’il n’était pas dans le besoin. Pour ne pas décevoir son futur donateur, elle découvrit sa poitrine. Elle s’amusa de l’expression extasiée du jeune homme, puis elle se leva pour se débarrasser de sa robe et de sa culotte.

« Ça va ? fit-elle en se rasseyant.

— Tu es sublime !… Tu ne veux pas écarter les cuisses un instant ? »

Maylis s’était également déshabillée pour être à l’aise. Aussi fin qu’il était, le tissu de sa robe lui semblait être de trop et elle n’aimait pas les soutiens-gorges. Tous les hommes qu’elle avait connus exigeant de la voir nue, elle en avait pris l’habitude.

Clotilde entra dans le salon avec un plateau de boissons et le posa sur la table basse. Elle était agréable à voir, grâce à une taille fine et de petits seins fermes et saillants, mais son corps ne brouillait pas autant la vue que celui de Maylis, qui paraissait être une offrande divine. Sa peau moins bronzée que celle des autres femmes lui conférait un aspect lumineux, une impression de pureté. Celle de ses seins était aussi douce que du coton.

Après s’être mis debout, Tom fit glisser son caleçon sur ses jambes pour exhiber un phallus de taille moyenne et il se branla en deux mouvements de main.

« Tu as une minute pour baiser ? demanda-t-il.

— Non, justement. Je dois aller au taxiport.

— Je sais, je vous conduis. Je veux bien te payer dès maintenant si tu acceptes une baise rapide. »

C’était à cause d’hommes comme lui que Maylis faisait de la prostitution occasionnelle. Elle n’avait qu’un mot à dire pour gagner sa journée. Restée debout, Clotilde regardait la scène en silence. Tom insista :

« Tu sais que pour participer au jeu, il faut se livrer à tous les excès ? Les téléspectateurs te récompenseront pour ça. Tu vas commencer dès la minute où tu mettras le pied dans le bâtiment Eumédia. On te fera avaler du sperme avant ton premier verre d’eau et on te…

— Et à la fin, on essaiera de me violer et de me couper en morceaux.

— Je te soutiendrai autant que je le pourrai, Maylis. Et je suis sûr que tu t’en sortiras. »

Maylis prit conscience que, si elle devait être perdante, Tom ferait partie des hommes qui assisteraient à sa mort. Il se délecterait des images de son supplice et, s’il était un bénéficiaire, il recevrait plus d’argent que si Maylis s’en sortait vivante.

C’est la plus grave atteinte à ma pudeur que l’on puisse commettre, se dit-elle.

Elle conserva toutefois son calme et prit son verre de limonade pour commencer à le vider. Une fraîcheur réconfortante coula dans sa gorge.

Puisqu’il fallait mourir, autant le faire d’une manière utile. Les filles qui participaient au jeu étaient admirées pour leur sens du sacrifice, mais Maylis se sentait assez forte pour se défendre. Kilian avait eu raison de lui dire qu’elle était combattive.

« Tu peux m’éjaculer dessus, décida-t-elle en posant son verre. C’est gratuit.

— O.K., tu es une fille super ! »

Elle ouvrit les cuisses et regarda Tom se masturber pendant qu’il lorgnait sur sa vulve. La jouissance arriva prestement sous ses vifs mouvements. Il souffla, grimaça et émit un râle. Un jet de sperme jaillit de son gland et s’écrasa sur le visage de Maylis. Un deuxième, plus faible, atteignit son ventre.

« Bon, c’était bien… conclut Tom. J’ai pu te laisser un petit souvenir. Je te regarderai quand tu seras dans le jeu et je te soutiendrai.

— Merci, fit Maylis en passant une main sur son visage. Maintenant, est-ce que tu peux nous laisser ? »

Tom ramassa son caleçon, prit la direction de la cuisine et ferma la porte. Maylis estima que Kilian, qui était aussi immobile et silencieux que du papier peint, pouvait rester là.

« Il est charmant, ton copain, jugea Maylis.

— Ce n’est pas mon copain, corrigea Clotilde en lui donnant un mouchoir pour s’essuyer. Il me paie bien, c’est tout. »

Elle se pencha sur Maylis avec un autre mouchoir et l’aida à se nettoyer.

« Tu veux aller dans la salle de bains ? proposa-t-elle.

— Non, ça ira. Je pense que si je me présente chez Eumédia avec quelques taches de sperme, je ferai bonne impression.

— Tu as raison. Tu pourrais aussi bien laisser ta robe ici et y aller toute nue. Je la garderai pour toi. »

Maylis rejeta l’idée en prétextant qu’elle voulait préserver la blancheur de sa peau.

« Tu as choisi tes bénéficiaires ? s’informa Clotilde.

— À part toi ? Oui, j’ai plusieurs noms en tête mais j’ai encore trois jours pour me décider.

— Trois jours, c’est court.

— C’est le temps qu’il faut pour se préparer. Il n’est pas nécessaire de nous en donner plus. Et moi, j’ai hâte de connaître mon sort. »

Les deux amies se regardèrent dans les yeux et se prirent par la main, le cœur gonflé de larmes.

« Voilà mes affaires, déclara Maylis en ouvrant un petit sac. Je ne fais confiance qu’à toi pour les garder.

— Dans quelques jours, tu reviendras et je te les rendrai. »

La voix de Clotilde s’étrangla quand elle prononça le dernier mot. Même si ces faux bijoux n’avaient aucune valeur et si Maylis faisait fortune, elle ne posséderait jamais rien de plus précieux. Les yeux humides, son amie regarda ces babioles déteintes et les posa sur sa main.

« Les êtres humains laissent toujours peu de traces en ce monde, déclara Maylis. Même si je deviens riche, presque personne ne se souviendra de moi après ma mort. Il n’y aura que mes descendants. Avoir des enfants, c’est ce que je souhaite par-dessus tout.

— Tu en auras, lui assura Clotilde. Et moi aussi. »

Les histoires d’amour ne pouvaient plus se terminer par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », à cause du planning familial. Deux enfants, c’était le maximum autorisé.

Silencieux dans son coin, Kilian oublia le caractère érotique de cette scène pour écouter ce que disaient les deux filles. Il savait déjà que la fortune l’attendait, car Maylis lui avait annoncé vouloir le prendre comme bénéficiaire. Toutefois, elle avait encore la possibilité de revenir sur ce choix, si bien qu’il s’efforçait de rester sage. Il avait conscience de n’avoir rien fait pour mériter l’amour de Maylis. Pas une seule fois, il n’avait tenu de propos tendre.

De plus, elle commençait à l’intimider. Elle allait devenir célèbre le jour même, dès vingt heures ! On ne perdait pas de temps avec les participants, qui devaient être jetés « frais » dans l’arène.

Quand Tom revint dans le salon, les deux filles était rhabillées et prêtes pour le départ. Elles se levèrent et tous quittèrent l’appartement. La cage d’escalier était à peu près silencieuse et Maylis avait l’impression de partir à la sauvette. Elle savait quelles passions les candidats déchaîneraient quand le jeu atteindrait son point d’orgue. Il n’y avait que la coupe du monde de football, toujours organisée malgré son ancienneté, pour le dépasser.

Devant la porte d’entrée de l’immeuble, elle se tourna vers Kilian pour le regarder avec affection.

« Il est temps de te dire adieu, dit-elle. Tu as été bon avec moi et je t’en suis reconnaissante. Dans peu de temps, tu pourras t’acheter une belle maison. Trouve une femme et fonde un foyer. L’idéal serait d’avoir une femme qui sache prendre soin de toi.

— Tu es sûre que… »

Maylis l’interrompit en mettant un doigt sur ses lèvres.

« Nous ne sommes pas faits pour vivre ensemble, affirma-t-elle. Quelques semaines, ça va, mais pas quelques années. »

Elle se rapprocha néanmoins de lui, à sa grande surprise, pour appliquer ses lèvres contre les siennes. Il s’en empara afin de profiter de ce dernier moment de bonheur avec une jeune femme qu’il avait appréciée à défaut d’aimer. Trouver une autre compagne serait pour lui une tâche facile, mais Maylis avait des qualités rares.

Quand elle décolla ses lèvres des siennes, ce fut pour monter dans un véhicule électrique qui venait d’arriver. Elle y entra par une porte qui s’entrouvrit et laissa s’échapper de l’air frais. La climatisation était autorisée dans les voitures, sans quoi il aurait été possible d’y faire cuire des œufs. Dans la rue, la température dépassait les quarante degrés. Certains jours, il était même possible d’avoir dix degrés de plus. Le moindre rayon de soleil arrivant sur la peau de Maylis y faisait immédiatement luire de la transpiration. Elle s’assit sur une petite banquette à côté de Clotilde tandis que Tom prenait les commandes du véhicule.

La distance à parcourir était si faible qu’il aurait été possible d’aller au taxiport à pied, mais la climatisation était un luxe que personne ne pouvait refuser. Tom fit avancer sa petite citadine très lentement et arriva dix minutes plus tard devant un bâtiment plat au toit recouvert de plantes. Maylis et son amie descendirent et s’étreignirent une dernière fois.

« Bonne chance », dit simplement Clotilde.

Maylis fit ses adieux à son chauffeur d’un signe de tête et se plaça devant la porte du bâtiment, où une caméra effectua une reconnaissante faciale. Elle entra dans une grande salle d’attente aux murs blancs et cependant plongée dans la pénombre. Les alignements de sièges n’étaient occupés que par un vieux couple et par une jeune femme ayant pour seul vêtement une petite jupe plissée noire. Elle avait l’air de s’ennuyer à mourir. C’était une prostituée présente sans doute ici depuis le point du jour, qui proposait ses services aux hommes voyageant seuls.

Un homme au torse nu s’approcha à grands pas de Maylis pour se planter devant elle.

« Vous allez où ? s’enquit-il.

— Peu importe, répondit Maylis. Mon taxi arrive dans cinq minutes.

— Vous y serez seule ? Vous voulez que j’y monte avec vous ?

— Sur cette destination, ce n’est pas possible.

— Je peux vous faire un massage clitoridien ? insista-t-il. Je m’y prends très bien. Ça va vous détendre. »

Cet individu était un gigolo : les hommes vendaient également des services sexuels. Maylis jeta un coup d’œil à la fille aux seins nus, qui semblait n’avoir pas entendu cette conversation et étouffait un bâillement. En n’importe quel lieu, il était impossible d’échapper aux prostitués !

« Pour le moment, je n’ai pas d’argent, répondit Maylis. Ou si… peut-être… »

Elle consulta sa montre, qui lui indiqua qu’il restait treize euros et soixante dix-huit centimes sur son compte.

« Donnez-moi votre numéro. Je vais vous transférer ce que j’ai », annonça-t-elle.

Le jeune homme en fut très heureux et chercha des yeux un endroit où amener Maylis, mais pour cela, il n’y avait guère que les toilettes et elles n’étaient pas confortables du tout.

« Asseyez-vous ici, dit-il en désignant un siège à bonne distance du vieux couple. Je vais vous…

— Non, je vous offre cette somme parce que je n’en ai plus besoin. Dès ce soir, je vais accumuler les dons. Et puis, il nous reste trop peu de temps. »

Maylis se dirigea vers un distributeur de boissons et prit un verre d’eau gratuit. Le jeune homme la regarda boire en devenant de plus en plus intrigué. De quels dons parlait l’inconnue ? Elle portait une robe à deux euros mais lui avait fait un cadeau généreux et elle avait les moyens de monter dans un taxi.

« Tu es une putain qui a été invitée chez un client ? supposa-t-il.

— En quelque sorte.

— On dirait que tu as reçu du sperme dans les cheveux. »

Il avança une main sur la tête de Maylis et toucha sa chevelure.

« Oui, je viens de me faire arroser », confirma Maylis.

La fille aux seins nus la regardait avec des yeux ronds et elle avait attiré l’attention du vieux couple.

Maylis considéra qu’ils étaient des collègues. Tom avait eu raison de lui faire comprendre qu’elle allait basculer dans l’univers du sexe. Elle pouvait également ne pas monter dans ce taxi, car elle n’avait signé aucun contrat, jeter sa robe et prendre entièrement nue la direction des beaux quartiers. Elle avait la certitude de retrouver, avant la fin de la soirée, deux ou trois fois la somme qu’elle avait versée au jeune homme.

Sa vie serait simple et sans risque : avaler du sperme ou s’en faire barbouiller, avoir les seins triturés et se faire pénétrer par le vagin et l’anus, accepter parfois des activités plus violentes. Peut-être certains clients s’attacheraient-ils à elle et lui offriraient-ils des bribes de vie de couple. Clotilde et ses autres amies lui pardonneraient sans doute d’avoir reculé devant la possibilité d’une fin atroce.

Mais ce serait une voie sans issue et Maylis savait qu’elle n’avait plus le choix.

Un sifflement tomba du ciel et se transforma en un bruit de réacteurs qui emplit la salle bien qu’elle fût insonorisée. Les conversations devinrent impossibles. Un appareil blanc comme un cygne, plus grand qu’un taxi ordinaire, se posa sur la plate-forme, puis le silence retomba.

« Il faut que j’y aille, s’excusa Maylis. Regardez vos écrans si vous voulez savoir ce qui va m’arriver. »

Elle dut s’identifier une deuxième fois pour quitter le bâtiment et monter sur la plate-forme.

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