Le jeu de la séduction et de la mort – 2

Chapitre 2

Pour Léo, le choix était déjà fait. Il avait envoyé sa candidature à la société de production Eumédia et attendait la réponse, sans avoir beaucoup d’espoir. Il se doutait que les demandes affluaient chaque jour par milliers. Sa situation était meilleure que celle de Maylis car il lui arrivait de travailler. Cependant, il n’exerçait pas un métier de rêve : il était éboueur intermittent, payé à la tâche. C’était un travail pénible, particulièrement en ces périodes de grande chaleur. Elles s’étalaient quasiment de mai à octobre. Léo savait que les étés n’avaient pas toujours été aussi longs et qu’ils étaient la conséquence de ce que les hommes avaient fait durant les siècles précédents. Ils avaient ravagé une planète complètement surpeuplée. Fort heureusement, une solution avait été trouvée pour éviter les famines : on faisait de la nourriture à base d’insectes. C’était même l’une des meilleures qui n’ait jamais été élaborée, puisqu’elle était riche en protéines et pauvre en matières grasses.

Au moins, les gens peuvent garder la ligne, se dit Léo en regardant ceux qui se trouvaient autour de lui.

Ils étaient très nombreux. Ce parc était l’endroit le plus fréquenté de la ville parce qu’il était le mieux aménagé. Les feuillages des arbres couvraient presque entièrement le ciel et de l’eau coulait dans des bassins. On avait pris l’habitude de s’y rendre en maillot de bain, quoique l’on ne pût s’immerger que jusqu’à la poitrine.

Léo ne portait qu’une paire de sandales et un slip de bain qui avait l’avantage de dévoiler son corps athlétique. Il coupait ses cheveux très court et se laissait pousser un peu de barbe. Il avait conscience de plaire ainsi aux filles, mais leur comportement l’exaspérait. Quand il en abordait une, il se voyait presque toujours proposer un acte tarifé. Il avait certes connu des filles qui s’étaient attachées à lui, mais elles avaient toutes fini par lui reprocher de n’avoir pas grand-chose à leur offrir. Il n’était pas le prince charmant des séries romantico-pornographiques et ne serait même pas capable d’élever un enfant autrement qu’en lui permettant d’aller cinq ans à l’école pour savoir lire et écrire.

Parfois, les coutumes jouaient également en défaveur des femmes. Si une séduisante demoiselle s’en allait dans les rues pour vendre quelques marchandises, ce qui était en théorie tout à fait possible, les hommes lui demandaient plutôt – fort poliment – de retrousser sa robe ou de montrer ses seins. Ce n’était pas répréhensible.

Léo regarda le concentré de nanotechnologie qu’était sa montre connectée. Pour le moment, elle n’indiquait que l’heure, mais il était susceptible de recevoir un message lui demandant de ramasser des ordures ou, de manière beaucoup plus improbable, une réponse d’Eumédia.

C’était cet objet qui avait le plus fait évoluer la société. Il avait été imposé à tout le monde lors des années de dictature mais il y avait très peu de gens pour s’en plaindre, tant il rendait de services. Il faisait office de téléphone portable, à cette différence près qu’il n’était pas possible de le perdre ou de se le faire voler, puisqu’il était fixé au poignet. Son petit écran permettait de faire quelques incursions dans le cyberespace. Des capteurs donnaient à chaque porteur des renseignements sur son état de santé.

Revers de la médaille, cette montre enregistrait les conversations. Elles étaient transmises à des ordinateurs qui les analysaient. Si Léo insultait un inconnu dans la rue, il pouvait recevoir une amende dans les minutes qui suivaient.

Les montres connectées avaient quasiment éradiqué les agressions sexuelles. Pourtant, Léo pouvait aborder une femme dans la rue et lui montrer son pénis puisque la nudité et les actes sexuels étaient autorisés dans l’espace public. Beaucoup d’hommes utilisaient cette liberté comme technique de drague, avec plus ou moins de succès. Les prostituées faisaient pareil, certaines racolant totalement nues et s’asseyant même sur un banc pour écarter les cuisses. Léo n’en avait pas actuellement sous les yeux mais cela ne saurait tarder.

Il se dirigea vers l’un des bassins, entre des personnes assises ou allongées sur l’herbe. Celles qui n’étaient pas en maillot de bain vivaient probablement dans la rue. Elles ne dormaient pas sur place car la municipalité ne voulait pas que ce parc fût transformé en un squat surpeuplé.

Léo s’assit au bord du bassin et regarda un homme et une femme en train de rouler sur l’herbe en s’embrassant. Ces moments de bonheur lui manquaient. Peut-être devait-il se remettre à la drague, mais en ce jour, il ne s’y sentait pas d’humeur.

Une jeune et superbe brune s’approcha de lui en se déhanchant. Les rondeurs affriolantes de sa poitrine étaient offertes à la vue de tous.

« Alors, beau gosse, tu es seul ? dit-elle.

— Ouais, on dirait.

— Ça te dit de passer l’après-midi avec moi… Ou simplement de te faire sucer ? »

Belles hanches et poitrine joliment modelée, se dit Léo.

Comme tout le monde ici, cette demoiselle était artistiquement bronzée, y compris sur les seins. Voilà au moins un luxe qui ne coûtait rien.

« Dix euros pour l’après-midi, proposa-t-il.

— Tu veux me payer dix euros pour ça ? » s’étonna la fille.

Elle s’approcha de Léo jusqu’à lui toucher les genoux et baissa sa culotte. Le jeune homme aperçut un sexe rasé, d’où une petite lèvre dépassait.

Une bouffée de colère le traversa. Vu comment elle s’y prenait, la fille devait être plus riche que lui. Il eut envie de la prendre de force, mais ça ne pouvait pas se faire ici. Pour pouvoir commettre un viol, il n’y avait que le Jeu du sexe et de la mort. Il n’était même pas possible de toucher une femme sans son autorisation.

« Oui, dix euros pour ça, confirma-t-il. Et si ça ne te suffit pas, tu seras gentille de me foutre la paix. »

Léo remonta sur la pelouse et s’éloigna, mais la jeune fille s’écria :

« Non non ! Attends ! C’est d’accord. »

Elle chercha un escalier pour quitter le bassin et rejoignit Léo en courant. Elle l’attrapa par un bras.

« Je veux bien être à toi pour tout le reste de l’après-midi et même pour la soirée, dit-elle.

— Je suis venu ici pour me détendre un moment et pas pour rencontrer des emmerdeuses, gronda Léo.

— Neuf euros et tu pourras me baiser autant que tu veux. Tu en vaux la peine. »

Voyant que la fille paraissait vraiment tenir à lui, Léo se radoucit.

« Marché conclu, décida-t-il.

— Fais le paiement maintenant. Après, je serai à toi. »

Elle lui présenta sa montre, où elle fit s’afficher un numéro. Le paiement était sûr et instantané. Léo l’effectua après avoir poussé un soupir.

Devenue de nouveau aguicheuse, la fille se pressa contre lui.

« Voilà, je t’appartiens, roucoula-t-elle. Tu veux trouver un endroit calme pour m’enfiler ? M’emmener chez toi ?

— D’abord, tu t’appelles comment ? Ou tu veux que je t’appelle cinq-sept-six-zéro-un-quatre ?

— Juliette.

— Et moi, Léo. »

Il referma son bras sur la jeune fille et caressa sa peau tiède et soyeuse. En vérité, il avait plutôt fait une bonne affaire.

« Tu as des sandales ? s’enquit-il.

— Non. Je marche pieds nus.

— Alors on va se balader. Il y a trop de monde ici. »

Ils partirent enlacés comme un couple d’amoureux. Juliette louchait sur les pectoraux de Léo et sur la bosse de son slip. Quant à lui, il la détailla tout entière et caressa sa chevelure, qui lui tombait harmonieusement sur une épaule.

« On fait connaissance ? proposa-t-il. Tu as encore des parents ?

— Oui. Je vis avec eux. J’ai aussi une petite sœur.

— C’est toi qui ramènes de l’argent à la maison ? Si tu gagnes neuf euros avec chaque client, ça fait pas mal à la fin du mois.

— Oui, mais j’aimerais me payer des études.

— Ah oui ?

— J’aimerais avoir une chance de faire autre chose autre que ça. »

Léo ne s’était pas attendu à cette réponse. Lui-même n’avait suivi que les cinq années d’école obligatoires et financées par le gouvernement, et il regrettait de ne pas en avoir fait plus. Son envie de s’instruire était bien réelle.

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